La phase de transition
Introduction
La phase de transition, souvent appelée à tort (on le verra plus tard) phase de détox ou phase de désintox, est la période qui suit le changement d'alimentation de votre animal. Dans la plupart des cas, l'animal passe d'une alimentation industrielle souvent sèche (croquettes) à une alimentation naturelle à base de viande crue. Ce changement va bouleverser le système gastro-intestinal de votre animal et peut avoir quelques conséquences qui sont parfois gênantes mais qui, dans l'immense majorité des cas, ne devraient pas donner lieu à s'inquiéter. Cet article a pour but d'expliquer comment faire le changement d'alimentation et à quoi vous devez vous attendre suite à ce changement.
Le mythe de la détoxification
Avant d'entrer dans le vif du sujet, il convient de déboulonner le mythe de la détoxification. Sur bon certains sites traitant du BARF ou du Raw Feeding, des auteurs prétendent que durant la phase de transition, l'animal est "malade" car il "expulse" les toxines des croquettes qui se trouvent "prisonnières" de son organisme. Les descriptions de ce processus varient fortement, mais l'idée centrale est que le corps de l'animal va expulser des toxines accumulées à cause des croquettes. Cette "expulsion" est censée être perceptible de l'extérieur, via une longue liste de symptômes : diarrhée, vomissements, nez et yeux qui coulent, urticaire et même des convulsions (!). Les propriétaires se voient expliquer qu'aucun de ces symptômes n'est à craindre et que c'est tout simplement le système immunitaire de l'animal qui se débarrasse de produits toxiques.
Tout ceci est complètement farfelu et ne tient scientifiquement pas la route !
Le parallèle peut être fait avec les fameuses cures de détoxification que nous proposent chaque mois de janvier les magazines et les vendeurs de produits censés purifier l'organisme, après les excès des fêtes de fin d'année : boire du jus de bouleau pendant 3 semaines ou avaler des petites pilules "détoxifiantes" qui ne sont pour la plupart que de simples laxatifs ou diurétiques. Histoire de rigoler un peu, nous vous conseillons de parcourir cet article http://lepharmachien.com/toxines/ qui aborde avec humour ce sujet.
De façon plus sérieuse, un processus de "détoxication" existe bel et bien. Mais il n'est en aucun cas aussi spectaculaire et il se produit en continu, tous les jours durant toute la vie de l'animal et de l'être humain. Et non pas seulement lorsqu'on change de nourriture. Ce processus, tout à fait normal et indispensable, c'est l'organisme qui s'en charge, et plus particulièrement les reins et le foie. Sans entrer dans des considérations scientifiques compliquées, l'appareil digestif empêche nombre de toxines et de bactéries de pénétrer dans l'organisme, alors que le foie contribue à la destruction des toxines qui sont ensuite éliminées par les reins.1 Prenons l'exemple d'un chien de 5 ans, qui a toujours été nourri aux croquettes et qui passe au cru. A en croire les thuriféraires de la détox, ce chien élimerait toutes ces toxines "accumulées" lors du changement de nourriture. Soyons clairs : si ce chien avait autant de toxines accumulées dans son organisme depuis 5 ans, cela signifierait que son foie et ses reins ne fonctionnent pas. Et si son foie et ses reins ne fonctionnaient pas, ce pauvre chien serait tout simplement... mort.
A quoi doit-on s'attendre ?
Si la détox tient plus du mythe que de la vérité scientifique, des symptômes de transition existent bel et bien. Ils sont dus principalement à une modification de la flore inestinale.
De récents progrès en biologie moléculaire ont montré que le tractus gastro-intestinal canin et félin héberge un écosystème microbien très complexe, comprenant plusieurs centaines de types de bactéries différents. Nous commençons tout juste à comprendre comment cette flore intestinale interagit avec l'hôte et influence ce dernier au delà du tractus gastro-intestinal.
On estime que l'intestin d'un mammifère héberge un nombre de cellules microbiennes environ 10 fois plus élevé que le nombre de cellules hôtes. Il est donc évident que ce métagénome très complexe jouera un rôle crucial dans la santé de l'animal. La flore intestinale est utile à l'hôte en agissant comme une barrière de défense contre les agents pathogènes transitoires, ils aident à la digestion et à récolter l'énergie provenant de l'alimentation, et jouent un rôle très important dans le développement et la régulation du système immunitaire. Toutefois, le microbiome intestinal peut également avoir une influence néfaste sur la santé gastro-intestinale. De récentes études ont montré que des modifications dans la composition du microbiote intestinal pouvait être associées avec des entéropathies chroniques chez le chien et le chat. En outre, ces études ont également montré que la composition de la flore intestinale variait considérablement d'un individu à l'autre.
Par ailleurs, d'autres études récentes, menées aussi bien chez l'humain que chez l'animal, ont démontré que la composition de la flore intestinale était étroitement liée au type d'alimentation et qu'un changement brusque d'alimentation entraînait rapidement une modification de la flore intestinale.3
Lorsque nous changeons rapidement le régime alimentaire de notre animal de compagnie, il en va de même. L'animal passe d'une alimentation raffinée, industrielle, composée en grande partie de céréales et contenant différents additifs à une alimentation carnée, naturelle, sans additifs et hautement digeste. Les différentes colonies de bactéries présentes dans l'intestin doivent donc s'adapter à cette nouvelle alimentation car le type de bactérie varie selon le type d'aliment à digérer.
Plus concrètement, cette dysbiose intestinale va se traduire pas des selles molles, parfois enrobées de mucus (et éventuellement des vomissements). Ces symptômes ne devraient pas durer plus de quelques jours et ne doivent en aucun cas être confondus avec une diarrhée qui, quant à elle, est le symptôme d'une maladie. Si vous procédez correctement au changement d'alimentation de votre animal, dans la majeure partie des cas, tout se passe bien et ne dure que quelques jours.
Comment faire le changement
Tout d'abord vous devez déterminer la quantité de nourriture que vous aller donner à votre animal. Pour les chiens, on préconise entre 2% et 3% du poids de corps par jour. Si votre chien est trop maigre, partez sur 3%, s'il est trop gros donnez 1.5% et si son poids est idéal, partez sur 2%. Par exemple si votre chien pèse 30 kg et que son poids est idéal, il devra recevoir 600 g de nourriture par jour.
La meilleure façon de commencer, avec un chien adulte, en bonne santé, et sans indication contraire due à une éventuelle maladie, est de changer son alimentation d'un coup, du jour au lendemain. Il faudra compter entre 4 et 6 semaines pour que le régime alimentaire de votre compagnon soit équilibré, même si la phase de transition se passe bien. Pas d'inquiétudes à avoir de côté là : il ne risque pas de carences sur une période si courte !
Il est fortement déconseillé de mélanger la viande crue et les croquettes, car les temps de digestion de ces deux aliments sont différents. Les carnivores, avec leur estomac au pH très acide et leur tube digestif très court, sont naturellement conçus pour exterminer les bactéries présentes dans la viande crue et qui n'ont pas le temps de se multiplier dans leur système digestif. Cependant, si vous mélangez un aliment à base d'hydrates de carbones (croquettes) avec de la viande crue, cela risque de ralentir la digestion normale de la viande crue, qui sera en quelque sorte en "compétition" avec les croquettes dans l'estomac de l'animal. Cela signifie entre autre que la nourriture crue restera plus longtemps dans le système digestif de l'animal, laissant plus de temps aux agents pathogènes pour se multiplier. Idéalement, nous conseillons un temps de 12 heures entre le dernier repas de croquettes et le premier repas de viande crue.
Voici un plan en 4 étapes pour les débutants. Il s'agit d'un canevas qui doit être adapté à chaque animal.
Etape 1 - La viande
Sauf allergie alimentaire connue, commencez par du blanc de poulet sans os. Pour un chien, vous pouvez y ajouter quelques cuillères de carotte réduite en purée ou, mieux, de purée de courge. Vérifiez constamment les selles de votre animal.
Etape 2 - Les os
Après une période de selles molles de 4 à 7 jours, les selles vont devenir formées et ce moment vous pouvez introduire les os. Pour l'instant, pas de changement de viande, donc on reste au poulet.
Évitez toutefois de donner des carcasses de poulet. Il y a trop d'os et pas assez de viande sur les carcasses. Si un chien habitué aux os peut très bien gérer une carcasse de poulet, il n'en va pas de même pour un débutant. Donc commencez avec des cous de poulet pour les petites races et des dos ou des cuisses pour les grandes races. Veillez à ce que la quantité d'os charnus ne dépasse pas 45% de la ration au début, cela signifie que le blanc de poulet fera toujours partie de la gamelle à ce stade.
La tolérance au calcium étant individuelle chaque chien, surveillez toujours les crottes de votre animal. Des crottes crayeuses et claires, qui "s'effritent" signifient que le pourcentage d'os est trop élevé.
Etape 3 - Une autre viande
Si les crottes de votre animal sont normales, vous pouvez donc commencer à introduire un autre type de viande à choix : dinde, canard, cheval, veau, mouton, poisson, cailles, etc. Par mesure de prudence, car il est allergène, le boeuf doit être la dernière introduction. Bannissez le gibier.
Introduisez toujours ces aliments petit à petit. Souvenez-vous que la patience est le maître mot lors de la phase de transition. Durant cette période et si tout se passe bien, vous pouvez également augmenter un peu la quantité d'os.
Etape 4 - Les abats
A ce stade, les crottes de votre animal doivent être normales. Vous pouvez désormais ajouter quelques abats. Essayez surtout le foie et les rognons. Les abats ne doivent pas dépasser 10% de la ration (la moitié de foie, l’autre moitié d’un autre abat). Ne donnez jamais un repas composé uniquement d'abats. C'est également le moment pour ajuster la quantité d'os si vous ne l'avez pas déjà fait. Nous rappelons ici les quantités recommandées :
Durant les semaines suivantes, vous pouvez introduire d'autre aliments (comme les œufs par exemple) et d'autres types de viande. Comme mentionné plus haut, ce plan en 4 étapes est théorique et doit être adapté en fonction de l'animal. Si nécessaire, n'hésitez pas à revenir en arrière. Si par exemple vous avez l'impression d'être allé trop vite, revenez à l'étape précédente durant quelques jours. A nouveau, ne vous inquiétez pas des éventuelles carences durant la phase de transition. Il n'y a absolument aucun risque qu'un déséquilibre momentané de la diète de votre animal conduise à des carences graves !
Quand NE PAS faire le changement
Sauf dans le cas d'une allergie aux composants des croquettes, nous déconseillons fortement de changer l'alimentation d'un animal malade. Commencez d'abord par soigner sa maladie et faites le changement ensuite, lorsque votre compagnon sera rétabli. Si l'animal souffre d'une maladie chronique sur laquelle l'alimentation peut avoir une influence (insuffisance rénale, insuffisance pancréatique, insuffisance hépatique, diabète, etc.), renseignez-vous bien sur l'alimentation que vous devez lui fournir. La section "Articles santé" de ce site pourra vous donner quelques pistes. Au besoin, faites vous aider par votre vétérinaire ou posez nous la question. Dans ces cas, la transition se fait sans période de jeûne.
Aider l'animal durant la phase de transition
Afin d'aider votre animal durant cette phase de transition, vous pouvez donner des prébiotiques et/ou des probiotiques. Remplacer une partie du poulet par des tripes vertes peut également aider car les tripes vertes sont très digestes. La purée de courge permet également d'aider en cas de diarrhée passagère, tout comme le Smecta ou l’argile blanche, ou verte. Si vous avez donné trop d'os (ce qui ne devrait pas arriver si vous respectez la procédure en 4 étapes décrite plus haut) et que votre animal est constipé, arrêtez complètement les os jusqu’au retour du transit, ou allez consulter.
Quand doit-on consulter un vétérinaire ?
Les selles molles ou les diarrhées consécutives au changement d'alimentation ne nécessitent pas l'intervention du vétérinaire. Cependant, l'intervention d'un vétérinaire est nécessaire dans les cas suivants, que ce soit au moment du changement d'alimentation ou n'importe quand dans la vie de l'animal :
Vomissements
Présence de sang ou de matière fécale dans les vomissures, ingestion de poison, tentatives de vomissement infructueuses répétées, multiples vomissements sur un court laps de temps, vomissement accompagnés d'autres signes cliniques alarmants tels que difficulté respiratoire, douleur, diarrhée, déshydratation, fièvre, apathie, refus de s'alimenter, etc.
Si les vomissement persistent plus d'un jour ou deux, il faut également consulter un vétérinaire.
Diarrhée
Présence de sang, diarrhées accompagnées d'un état de choc, déshydratation, apathie, température basse, ingestion de poison, diarrhée accompagnée d'autres signes alarmants tels que fièvre importante, difficulté respiratoire, douleur abdominale, refus de s'alimenter etc.
Si la diarrhée persiste plus d'un jour ou deux, il faut également consulter un vétérinaire.5
Si l'animal refuse de s'alimenter et qu'il est amorphe et/ou qu'il a de la fièvre, vous devez consulter un vétérinaire, même en l'absence de vomissements et/ou de diarrhée.
1. http://news.bbc.co.uk/2/hi/health/4576574.stm
2. Suchodolski JS, Markel ME, Garcia-Mazcorro JF, Unterer S, Heilmann RM, et al. (2012) The Fecal Microbiome in Dogs with Acute Diarrhea and Idiopathic Inflammatory Bowel Disease. PLoS ONE 7(12): e51907. doi:10.1371/journal.pone.0051907
3. Lawrence A. David, Diet rapidly and reproducibly alters the human gut microbiome, Nature 505, 559–563 (23 January 2014)
5. http://conseilsveterinaire.com/quand-faut-il-consulter-le-veterinaire-en-cas-de-vomissement-et-diarrhee-chez-le-chat/